Je ne sais pas ce que je fais ici à faire une description de ma...personne? C'est probablement ma pire décision à vie de faire ça. Enfin, ma pire décision, depuis l'Évènement. Je m'étais juré de ne plus prendre de mauvaises décisions. Cependant, c'est vraiment difficile dans ma situation. Je baigne dans l'incertitude et la confusion, et je ne sais pas nager. Comment aurais-je pu apprendre, ayant vécu presque toute ma vie sous la surface, où seulement des petits ruisseaux souterrains nous faisaient office de profondes rivières? Je vais me noyer, c'est sûr. J'ai besoin d'une bouée, mais où en trouver dans ce monde où les cœurs des gens sont devenus de la roche dure sédimentaire, dans laquelle, depuis des années est profondément fossilisé l'emblème de la guerre? Et il n’y a rien de plus véridique et de plus définitif qu’un fossile.
C'est vraiment pénible de relater tant de choses superflues, mais j'ai déjà commencé et arrêter serait aller totalement en l'encontre de mes principes. Cependant, étant donné que je suis déjà pris pour écrire ça, je vais en profiter pour rendre ça aussi pénible pour vous que ça l'est pour moi.
Physiquement? Je suis un nain. Vous avez sûrement déjà vu un nain. Si ce n'est pas le cas, hé bien imaginez-vous en un.
Psychologiquement? Ma psychologie n'est plus depuis l'Évènement.
Des précisions? Vous en aurez des très détaillées en lisant mon histoire.
En gros? Mon père m'a apprit à détester les humains et les elfes. J'ai apprit par moi-même à détester ceux de ma propre race: les nains. J'ai beaucoup plus de respect pour les animaux et la nature que pour n'importe quel être humain, nain ou elfe. Je tiens même les roches et la poussière à un degré d'estime plus haut que tous ces imbéciles. Je répondrais plus vite à un grain de sable qu'à un elfe, j'aimerais plus vite un fragment d'acier qu'un nain et je ressentirais davantage de compassion pour un écureuil qui ne trouve plus ses provisions enterrés sous la terre que pour un humain qui a tout perdu. Enfin, généralement.
Mon histoire? Tout ceux que j'ai aimés durant ma vie sont à présent morts, ou bien ils m'ont trahis. Je n'aime plus que trois choses à présent que la ô combien peu généreuse vie a eut le bon vouloir de m'offrir.
Premièrement, il y a ma barbe. Ma longue et douce barbe dont je m'occupe comme une bonne mère de son enfant. Ma barbe est le domicile de toute ma personnalité, elle représente ma fierté et mon orgueil. Si un jour il advenait que ma barbe ne soit plus, je ne serais plus moi. Elle est un de mes rares points faibles, mais tous mes points faibles sont protégés avec toute la vigueur et la fureur qu'un nain peut posséder. Ils sont également protégés avec ardeur et frénésie par Kehlar, ma hache adorée. Cette dernière est le deuxième objet parmi ceux auxquels je tiens énormément. Contrairement aux autres, Kehlar ne m'a jamais abandonné ni trahi. Je peux toujours compter sur sa force, sa précision et sa performance. Jamais, en dix ans de vie commune, elle n'a montré sa faiblesse par la moindre égratignure. Forgée par ma main et mon esprit, elle a été renforcée magiquement par un ami qui n'est plus. Jamais mes ennemis n'ont laissé la moindre trace ou cicatrice à Kehlar, elle, au contraire, leur a causé des ravages irréparables, et ce, pas seulement à leurs corps, mais aussi à leurs âmes. Kehlar est une arme précieuse et meurtrière qui n'a que très rarement quitté mes côtés. Je suis le seul qui suis capable de m'en servir à son plein potentiel, car une partie de mon esprit est encré profondément en elle pour toujours. Elle est une partie de moi. Une partie forte, dévastatrice et sans pitié.
Finalement, il y a aussi Rigga, ma troisième et dernière joie de vivre. Rigga a été témoine des pires moments de mon existence, et elle ne m'a jamais abandonné. Je prends soin d'elle autant que je prends soin de ma barbe et de Kehlar. Rigga est ma seule amie, compagnone et confidente. Il n'y a pas plus loyale qu'elle dans le monde. Je l'aime de tout mon coeur et nous prenons soin l'un de l'autre mutuellement. Elle seule est prête à se lancer dans n'importe quelle aventure avec moi, sans même se poser la moindre question. Si je lui demandais de mourir pour moi, elle le ferait immédiatement et sans regret. Sa fidélité est sans prix. Je serais prêt à mourir moi aussi pour Rigga, parce que contrairement aux autres imbéciles de ce monde, je ne me sens pas supérieur à elle. Elle est un être vivant et intelligent tout comme moi, et sa présence à mes côtés a beaucoup plus de valeur que la présence de n'importe quel humain, nain ou elfe.
Ma vie n'a jamais été facile. J'ai eu une une enfance dure, autant dans le sens propre que dans le sens figuré. Je suis né et j'ai grandis trente pieds sous la surface, dans des tunnels froids, rocheux et sombres. J'ai dormi, mangé et joué sous cet épais plafond de roche qui pesait sur ma tête comme des tonnes et des tonnes de cauchemars. J'ai été élevé sous la main d'acier de mon père qui n'hésitait jamais à me corriger à ma moindre erreur. Ses paroles étaient aussi dures et tranchantes que le diamant et ses yeux aussi froids et bleus que le saphir. Je préférais ô combien cette volée de roches que me lançaient régulièrement les cruels enfants de la voisine, à une seule séance de reproches venant de mon père.
Mes petits frères aimaient me faire des noeuds dans ma barbe. Je détestais ça, car c'était une preuve d'irrespect total. Toutefois, je ne pouvais rien faire contre eux. Ce sont des enfants et jamais je ne ferais de mal aux enfants ou aux imbéciles. J'ai plus d'honneur que ça. Et puis, mes frère m'ont sauvé à la fin de la guerre, alors je suis content de ne leur avoir rien fait. De toute façon, si j'avais osé les battre, mon père m'aurait sérieusement corrigé.
Quand j'étais petit, ce dernier me faisait peur, mais maintenant je ne ressens que de la haine profonde et pure pour lui. Contrairement à tous mes amis, mon père, lui, est resté en vie suite à la guerre.
"Les meilleurs partent toujours en premier", me disait souvent ma mère.
Je crois qu'elle avait raison, parce que à présent elle est morte ma douce et gentille mère alors que mon père, lui, est encore en vie. Moi aussi je suis encore en vie, et la plupart des enfants de la voisine aussi. Ma mère avait décidément raison.
J'en ai dédui que pour survivre, il faut être méchant. J'ai essayé de l'être, mais je ne suis jamais arrivé à un meilleur résultat qu'une simple absence de gentillesse. Cependant, cela ne fait aucunement changement de comment j'étais avant. Je ne suis pas gentil, et j'ignore si je l'ai déjà été. Si c'est le cas, je ne m'en souviens plus. Toutefois, je sais avec une certitude absolue que je n'ai jamais été méchant, même en ayant essayé avec toute ma volonté. Probablement cruel, mais pas "méchant". Ce sont deux choses différentes selon moi.
J'aurais aimé que Rigga soit davantage méchante, ainsi elle vivrait peut-être plus longtemps que ceux de sa race. Cependant, ce n'est pas le cas, alors je profite du mieux que je peux de sa présence à mes côtés pendant qu'elle est encore là. Penser qu'elle pourrait un jour me quitter subitement, sans prévenir, est presque aussi souffrant que de se remémorer une petite partie des événement qui ont précédé ma fugue du territoire des nains.
Ces derniers événement sont survenus à la fin de la guerre. Enfin, les gens appellent cela une "fin", mais moi je sais que c'est tout sauf ça. Mes propres expériences m'ont apprit que la guerre ne finit jamais, et ce fait est une des nombreuses cruelles vérités qui m'ont été révélées durant ces quelques dernières années.
Je n'ai rien pu faire pour ramener à la vie mes amis "Normaux" qui sont morts à la guerre, tout comme je n'ai rien pu faire pour sauver mes amis "Élus" alors qu'ils allaient se faire exécuter.
Je me rappelle très bien de ce jour où je suis allé visiter les Élus, quelques heures avant leur mise à mort. Parmi eux, j'avais deux amis. Être séparé de ses amis par une guerre insensée et basée sur la peur et la jalousie est une des plus cruelles épreuves que j'ai eu à endurer, mais certainement pas la pire. Mon amitié était plus forte que n'importe quelle guerre et je n'ai jamais réussi à considérer ces deux amis comme des ennemis. Heureusement pour moi, eux non plus.
Ainsi, on s'est retrouvés dans le point le plus bas sous la terre que les nains de ce monde ont construit. Nous étions séparés par des grands murs leur faisant office de prison où ils allaient passer les derniers moments de leur vie. Il n'y avait qu'une seule minuscule fenêtre rayée de larges barreaux d'acier par laquelle je pouvais les voir.
Je me suis approché de cette fenêtre et j'ai regardé un de mes amis. J'ai vu la représentation de mon regard dans les yeux de ce condamné dont l'amitié m'était si chère. Je me rappelle n'avoir vu dans ce reflet aucune pitié, mais seulement de la peur. Je sais que mon ami n'aurait pas voulu de ma pitié, cette dernière étant tout sauf caractéristique d'un nain. La pitié est pour les faibles, pas pour nous.
Ainsi, je l'ai regardé bien en face, pour qu'il se souvienne que je suis venu le voir et que je ne me suis pas détourné de lui, honteux du sort qui lui était réservé. Je voulais qu'il se souvienne que j'ai affronté avec lui pendant cet instant l'avenir qui lui était réservé et que j'ai eu le courage de soutenir son regard, et non le détourner, horrifié par l'exécution à laquelle il aura droit le lendemain.
Mon ami a évidement comprit. Il m'a sourit et s'est approché de la petite fenêtre. Il m'a tendu la main. Je la lui ai serrée avec toute la force que j'avais pour le soutenir, et j'ai eu la surprise de sentir un objet se glisser dans ma large paume humide.
Il m'a fait signe d'approcher mon oreille de la petite ouverture, et m'a murmuré quelques paroles que moi seul ai pu entendre. Ces quelques paroles ont suffit pour que mon regard obscur, s'assombrisse davantage et que mon expression devienne un masque dur et solide, témoignant d'une nouvelle détermination d'acier. Je tenais dans ma main Viadhanga, et mon ami comptait sur moi.
Le choc de ce moment m'a déconnecté de la réalité, et je n'ai pas réalisé que mon père n'était pas loin. Il avait tout vu de la scène, mais heureusement, rien entendu.
La suite des événement a été tellement rapide, que mon conscient avait de la difficulté à suivre la vitesse de mes actions. On m'a évidement enlevé Viadhanga, trésor que je n'ai pu tenir dans mes mains que pour quelques instants, et on m'a désarmé, m'arrachant ma tendre Kehlar. Puis, on a évidement voulu me faire parler, par les pires moyens qu'une imagination de nain puisse inventer.
J'ai alors enduré là, l'étape la plus cruelle de ma vie. Quand j'y repense, j'ai le goût d'hurler pour qu'on m'entende partout dans l'Univers, et dans tous les autres Univers existants. Quand j'y repense, j'ai le goût de m'arracher tous les membres de mon corps, de déchirer en morceaux mon coeur et de brûler mon âme.
Ils ont amené ma mère et ont commencé à la torturer en menaçant de la tuer si je ne parlais pas. Ils savaient que j'aimais ma mère, ils avaient bien choisit.
Dans mes pires cauchemars, je revois le regard apeuré et confus de ma mère, cherchant désespérément le mien. Je n'ai pu cette fois le soutenir, et juste pour cela, je désire être envoyé directement en enfer. Comment ai-je pu? ... Elle ne comprenait même pas pourquoi on lui cassait les bras et les jambes, pourquoi on lui brûlait la peau. Et surtout, elle ne comprenait pas pourquoi c'était mon père et ses alliés qui la torturait ainsi.
"Tout demande un sacrifice, mon fils", avait dit le mari de la pauvre naine qui vivait toutes les souffrances du monde. "J'aime ta mère, mais pour que les paroles que je veux entendre sortent de ta sale bouche de traître, je suis prêt à tout, quitte à la tuer."
Mon coeur me disait de lui dire, pour qu'il laisse ma mère en paix, mais ma tête me disait que je ne pouvais pas. C'était ma mère ou le salut de monde, et pour la première fois, j'ai suivi le conseil de ma tête. Peut-être parce que mon coeur était trop en morceaux, alors que ma tête tenait toujours bon. Je ne sais pas.
Tout ce que je sais, c'est qu'au moment où j'ai prit cette décision, je me suis senti pire que mon père et tous les nains comme lui. Peut-être aussi que c'était à cause de ses paroles: "Tout demande un sacrifice" et " J'aime ta mère, mais je suis prêt à tout, quitte à la tuer"
J'ai réalisé que j'avais fait le même choix que mon père, et pour cela, je me détestais plus que je déteste tous les humais, elfes et nains pris ensemble.
Ma mère a dû comprendre quelque chose au moins de la situation, car elle m'as épargné l'horreur de l'entendre hurler de douleur. Elle a enduré ses souffrances jusqu'à sa mort en silence, alors que moi je vivais mon pire enfer.
Juste avant qu'elle ne meure, je l'ai enfin regardée, et nos yeux se sont désespérément trouvés. Et alors dans ses yeux j'ai vu la dernière chose que je voulais voir: le pardon. Malgré toute les bonnes intentions de ce pardon, il était ce qu'il m'était de plus cruel à voir. Je ne voulais pas de son pardon, je voulais qu'elle me déteste avec toute son âme pour soutenir au moins une partie infime du poids terrible de cette culpabilité infinie.
J'ai vu dans son regard, avant que celui-ci ne s'éteigne pour toujours, une autre chose horrible: de la compréhension. Elle ne comprenait pas et ne pouvait pas comprendre, ça j'en étais sûr. Personne, pas même mon père ne pouvait se douter de l'importance de ce secret que mon ami m'avait imposé.
Toutefois, malheureusement, mon silence et la mort de ma mère ne firent qu'alimenter le désir de mon père de savoir ce que le condamné m'avait dit. Je me suis demandé cruellement pendant un moment, pourquoi c'était moi qu'il s'acharnait à torturer, et non mon ami. La réponse est venue d'elle même: mon ami n'a plus rien à perdre, pas même sa vie, alors que contre moi, il avait encore plein de ressources.
Je ne sais pas et je ne veux même pas m'imaginer qu'allait-il se passer de plus terrible encore que le supplice que ma mère et moi venions d'endurer, si Rigga et mes frères ne seraient pas venus à mon aide à cet instant.
Tout se passa très rapidement, et bientôt j'étais entrain de courir le plus vite que je pouvais avec Rigga, libéré des chaines qui me retenaient un instant plus tôt et ayant récupéré ma hache, mais pas Viadhanga.
Je savais que mes frères allaient se faire tuer pour m'avoir aidé, mais je ne pouvais pas me permettre de venir les aider comme ils l'ont fait pour moi. J'avais décidé de sauver les imbéciles nains, elfes et humains de ce monde en préservant le secret, et je ne pouvais plus changer d'idée, car cela aurait été injuste envers ma mère. Je ne voulais pas que son sacrifice soit futile.
Ainsi, alors que je fuyais en compagnie de Rigga le plus loin et le plus vite possible, je crus pendant un moment que tant que Viadhanga, même en mauvaises mains, était loin du secret, il n'y avait pas de danger. Je crus que je n'avais plus rien à faire, que je ne devais que me cacher, rester loin ou bien, plus facile encore, mourir. J'avais tort.
L'instant d'après, j'eus cette étrange vision et je sus que j'avais de loin fini ma partie. J'en avais trop su et trop vu. Maintenant il était trop tard et je savais que je n'avais pas le choix.
J'aurais ô combien aimé ne jamais avoir reçu Viadhanga et ô combien aimé ne jamais avoir su le secret qui y était relié et ô combien désiré ne jamais avoir eu cette vision. Je me maudirais jusqu'à la fin de ma vie, tout comme je maudirais mon ami et cette Viadhanga. Cependant, je ne pourrais rien changer maintenant que je sais, et je ne pourrais jamais avoir l'esprit tranquille si je ne fais rien. En fait, peu importe ce que je fais, je ne pourrais avoir l'esprit tranquille, puisque j'ai commis la pire erreur et que j'ai pris la pire décision. Toutefois, puisque j'ai décidé de préserver Viadhanga, je le ferrais jusqu'à la fin.
Voilà pourquoi je déteste autant les humains, elfes et nains avec leurs stupides guerres. Depuis que je suis né, ils ne m'ont amené que des souffrances perpétuelles. Et voilà que je me retrouve dans une situation où je dois me trouver de nouveau des amis, des alliés, pour m'aider à accomplir ma dernière mission, puisque je sais que seul, et même avec Rigga, je ne pourrais y arriver. J'espère que je n'aurais pas à m'attacher à eux, afin de ne plus avoir de points faibles, afin de ne plus souffrir et de ne plus les faire souffrir. J'en ai déjà assez de Rigga.
C'est ainsi qu'est ma pénible histoire; je suis seul à porter le poids de ce secret trop lourd même pour mes larges épaules, et à suivre la sombre destinée que la vie m'a si injustement imposée.