Pacem Minara
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 La mère-poule de Pacem Minara

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Locke Casseli

Locke Casseli


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MessageSujet: La mère-poule de Pacem Minara   La mère-poule de Pacem Minara EmptySam 3 Déc - 16:29

Elle était revenue, malgré son humiliation de la nuit passée, malgré tous les pleurs qu'elle avait versés, elle était revenue à la taverne pour une raison qu'elle ne pouvait elle-même s'expliquer. Espérait-elle le croiser, lui parler, l'engueuler? Elle ne savait pas quoi penser de tout cela, mais lorsqu'elle sentait le besoin de faire quelque chose, elle suivait son instinct, pour le meilleur et pour le pire. En arrivant à la taverne, elle avait tout de suite vu la chemise souillée qui arborait la vitre de la chambre de Sinak. Il y avait quelque chose écrit en rouge sang, un mot qu'elle ne connaissait pas, ce qui l’affola. Elle était sûre que le nain s'était retrouvé dans le pétrin et que ce message était celui de ses agresseurs, visible pour tous, s’adressant à d’autres qui seraient tentés de reproduire les mêmes erreurs. Elle arriva dans la taverne en courant, ne réussissant pas à garder son sang-froid usuel:

-Ada! Qu’est-ce qui s’est passé?

La femme la regarda en fronçant les sourcils, ne trouvant pas de mots à lui répondre. Locke, qui ne voulait pas perdre une seconde, attrapa le bras de la femme et la força dehors avec elle. Elle lui pointa ensuite la chemise qui flottait doucement au vent. Ada la regarda, incrédule, puis se mit à vociférer contre le nain :

-Non mais, quel imbécile! Il se prend pour qui, étendre sa lessive comme ça, à l’avant de ma taverne, aux yeux de tous! Quel genre d’établissement pense-t-il que je gère!

-Mais Ada, il n’y a pas quelque chose d’écr-

-Ren! Va chercher le double de la clef 106 puis enlève-moi le chiffon qui pend de la fenêtre!

Aussitôt sortie, aussitôt entrée, Ada n’était décidément pas d’humeur pour discuter avec Locke. Cette dernière resta plantée quelques instants devant la taverne, surprise, puis regarda le garçon enlever la chemise de la fenêtre en refermant promptement celle-ci par la suite.

Avait-elle imaginé ces lettres? Elle ne pouvait le savoir. Locke ne savait pas lire, et comme la plupart des gens de Pacem Minara, elle ne se fiait qu’aux dessins sur les pancartes pour savoir à quel genre d’endroit elle avait à faire. Un étau pour la forgerie, une bière pour la taverne, une pomme pour l’entrée du marché... Elle aurait bien pu interpréter un message dans ce qui ne se trouvait qu’à être une tâche de nourriture ou de boisson. Elle poussa un soupir, enfouit ses mains dans ses poches, puis se dirigea vers la place publique. Elle se sentait bizarre, elle se sentait surtout stupide d’avoir paniqué pour un nain qu’elle connaissait à peine. Où elle avait vu un message d’agresseur, Ada avait vu une lessive mal placée. Le plus embêtant, c’est qu’elle ne savait qui avait raison. Peut-être aucune des deux. Perdue dans ses pensées, elle s’enfargea dans un chat de gouttière, puis poussa quelques jurons qui lui valurent le regard incrédule d’une ménagère avec son enfant. Elle croisa le regard de la femme et le soutenu jusqu’à ce que celle-ci, embarrassée, amène son fils plus loin. Locke soupira à nouveau. Qu’était-elle rendue à faire de sa vie?

Elle arriva au cœur de la place publique. Elle regarda tous les charlatans qui essayaient de vendre des imbécillités ou d’inciter des gens naïfs à travailler pour eux à un salaire de crève-faim dont ils ne verraient jamais la couleur. Elle se rassura en se disant qu’au moins, elle ne se faisait pas arnaquer par de telles personnes. En passant au travers tout le brouhaha, elle aperçut un homme qu’elle connaissait du marché noir. Il était très bon en affaires et sans pitié pour les victimes qui se faisaient avoir à son jeu. Elle ne connaissait pas son nom, mais avait collaboré quelques fois avec lui, quoique son style d’escroqueries ne lui plaisait pas. À vrai dire, sa personne tout entière lui déplaisait fortement. Elle dévia légèrement le regard pour voir le visage de la personne naïve qui se faisait avoir, quand elle vu une figure familière et écarquilla les yeux.

Sinak.

-Cet imbécile, murmura-t-elle en serrant les poings.

Parmi tous les résidents de Pacem Minara, elle ne semblait que tomber sur lui, sa tête blanche et son chien. Encore et encore, on aurait dit qu’il n’y avait qu’eux quatre dans ce monde pourri.

Sans hésiter, elle se dirigea vers eux, puis, avant que l’homme puisse la reconnaître, elle empoigna Sinak fermement et l’éloigna de celui qu’elle considérait désormais avec un dédain accentué:

-Viens, suis-moi.

Une fois qu’ils furent à une distance qu’elle jugea appropriée, elle se retourna vers lui et commença à lui parler avec un stress évident dans la voix, des trémolos qui s’agençaient avec le léger tremblement de ses mains:

-Qu’est-ce que tu faisais, à parler à ce type? C’est un escroc de première classe, tu sais! Il faut que tu fasses attention, il y a très peu de gens honnêtes à la place publique! Tu vas te faire prendre tout ce que tu as si tu ne sais pas comment le marché fonctionne! Idiot, si tu avais besoin de quelque chose, tu aurais pu demander de l’aide à Ada ou à moi!

Pendant un instant, une image de sa mère lui vint à l’esprit, empoignant de la même manière son frère et elle, les réprimandant à cause d’une de leurs nombreuses dangereuses aventures. Elle se souvint de l’aspect troublé de sa voix, celui d’une mère qui voulait à tout prix protéger ses enfants. Est-ce que c’est ce qui se passe avec moi...?

Locke dégagea d’un coup sec le bras de Sinak de son emprise, pour ensuite réaliser à quel point elle l’avait serré fort. Elle prit quelques profondes respirations pour retrouver son calme, puis regarda Sinak dans les yeux. C’était ridicule tout le temps qu’elle perdait en tentant de faire la gardienne avec ces trois-là.

Deux-là, maintenant, se corrigea-t-elle intérieurement.

-Écoute, ce qui est imbécile, c’est de se mettre dans le pétrin parce qu’on a trop d’orgueil pour demander de l’aide. Je sais de quoi je parle. Alors, on retourne à la taverne ou tu m’expliques ce que tu as de besoin?

Locke le regarda en même temps de constater qu’elle avait dit « on ». On retourne à la taverne. Comme si elle avait quelque chose à faire là-bas. Pourquoi ce on était-il sorti de sa bouche, si spontané? Était-elle rendue au point où elle voulait à tout prix le reconduire à destination, comme un enfant? Ou souhaitait-elle inconsciemment retourner à cette chambre, entourée de l’enfant, du chien et du nain? Elle pesta intérieurement contre elle-même. Elle se dégoûtait. Elle avait pris tant de mesures et précautions pour se distancer de sa vie passée, son côté empathique qui lui donnait constamment envie de former des liens, aussi maladroite était-elle pour les faire. Elle avait fait une séparation entre cette ancienne « elle » et la nouvelle femme qu’elle devait être pour survivre à Pacem Minara. Est-ce que tout cela était en train de s’écrouler...?

Elle attendit la réponse de Sinak, le regardant droit dans les yeux pour ne pas paraître vulnérable, ce qui lui demanda un effort considérable.
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Sinak Pathara
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MessageSujet: Re: La mère-poule de Pacem Minara   La mère-poule de Pacem Minara EmptyVen 9 Déc - 13:23

Sinak se promenait parmi les étalages du marché, se laissant porter par la masse organisée de gens qui l’entouraient. Il avait l’impression de suivre un chemin déjà tracé depuis longtemps, d’être pris dans la chaîne migratoire d’un insecte quelconque qui se serait multiplié de manière exponentielle sur une terre qui menaçait de le rejeter sans qu’il en soit encore conscient. Il se sentait étrangement serein ce matin. En temps normal, il aurait voulu se frayer un chemin dans cette jungle de corps à coups de hache, mais à présent il participait à cette vie de société aussi docilement qu’une petite roue dentée dans un engrenage d’horloge. Il ne connaissait personne, aucun regard ne s’attardait sur lui trop longtemps et il éprouvait, pour la première fois depuis longtemps, un vague sentiment de sécurité et de confort. Bien sûr, il avait encore en mémoire son arrivée à Pacem Minara, son épuisement, la foule indifférente et son corps piétiné dans la rue. Il se rappelait de la honte, de la rancœur et de la douleur. Cependant, les cris des marchands chassaient ces pensées loin dans le passé. Sinak regarda les vendeurs avec une pointe d’amusement : ils lui rappelaient des goélands qui se criaient des imbécillités autour d’un crabe à demi-mangé. Il les avait observés a début de son périple jusqu’à Pacem Minara, lorsqu’il avait longé une côte avant de traverser la chaîne de montagne et de se retrouver en forêt. Les goélands lui avaient paru extrêmement stupides; plus ils criaient, plus ils attiraient des congénères, plus nombreux ils étaient à fixer le crabe et à le convoiter. Qui criait le plus fort gagnait. Au final, c’était Rigga qui avait eu le dessus et qui les avait chassés avec des jappements sonores. Sinak avait récupéré le demi-crabe et l’avait fait cuire. Il pouvait voir l’éclat rapace dans les yeux des marchands qui scrutaient les passants comme si c’était eux la marchandise. Ils devaient se choisir une proie, autrement ils allaient crier toute la journée sans succès.

-Hé! Bonhomme! Oui, toi! Le nain!

Tiré de ses rêveries, Sinak chercha nerveusement des nains autour de lui. Le sentiment de sécurité était disparu d’un coup. Étaient-ils là? L’avaient-ils trouvé?

-C’est à toi que je parle bon sang! Viens par ici!

Incrédule, le nain rencontra le regard d’un grand humain aux cheveux noirs ébouriffés et à la barbe mal rasée. Le regard était perçant et sans pitié. Il lui rappelait les yeux de son père. Sinak aurait voulu l’ignorer et continuer son chemin, mais il était tanné de fuir comme un enfant les monstres cachés sous les lits. Il s’approcha de l’étalage de l’homme tentant de maîtriser son dégoût et sa terreur.

-Qu’est-ce que tu veux? Lança Sinak en parcourant nerveusement du regard la marchandise de l’humain.

Celle-ci était étrange et disparate: il y avait des couteaux, des crochets et des pièces de métal à l’utilité douteuse. Sinak reconnut parmi elles des instruments de torture, des appareils de dentisterie, des ustensiles, des outils de chasse, des clés et des clous.

-Je vends des pièces de métal, expliqua l’homme en balayant distraitement la marchandise de sa main. Un peu comme de la récupération, tu vois. Il y a des métaux plus solides que d’autres. Certains veulent s’en procurer à des fins domestiques. Ils m’achètent mes pièces et les amènent chez le forgeron. On travaille toujours comme ça, en chaîne.

Voyant que le regard de Sinak était braqué sur les outils de torture, il s’empressa de lui rappeler que ces pièces sont vouées à la reconfiguration et qu’il n’y avait rien à craindre, la récup c’est la récup. Souriant, l’homme se plaça devant son étalage de manière à cacher les objets avec son large dos. Ensuite, il s’approcha rapidement du nain et se pencha pour inspecter sa hache. Mmmm fit-il avec satisfaction avant de regarder Sinak avec des yeux pétillants. Il baissa de nouveau les yeux alors que le nain recula en regardant son arme. Sa main moite serrait le manche avec tant de force que ses jointures avaient tourné au blanc. Brusquement, le nain réalisa que l’homme ne regardait plus la hache. Ses yeux scrutaient la forme de sa besace. Suspicieux, il recula encore.

-Ami, tu veux bien me vendre ta hache? Elle est vieille et émoussée et puis tu n’as pas à t’en servir à Pacem. Je peux voir d’ici que tu ne l’as pas utilisée depuis très longtemps. Je peux te proposer de l’argent, ou bien de faire un échange avec l’un de mes produits, annonça l’homme d'une manière confiante qui laissait entendre qu’il n’offrait pas vraiment le choix de refuser ce marché.

Alors qu’il s’apprêtait à répondre, une main empoigna son avant-bras comme dans un étau et le tira loin de son interlocuteur.

-Qu’est-ce que tu faisais, à parler à ce type? C’est un escroc de première classe, tu sais! Il faut que tu fasses attention, il y a très peu de gens honnêtes à la place publique! Tu vas te faire prendre tout ce que tu as si tu ne sais pas comment le marché fonctionne! Idiot, si tu avais besoin de quelque chose, tu aurais pu demander de l’aide à Ada ou à moi!

Sinak se concentrait difficilement sur les propos de Locke. Son débit était rapide et paniqué, proportionnel à l’affolement se déroulant dans l’esprit du nain au même moment. Il venait de prendre conscience du fait que sa besace était devenue plus légère.

La jeune femme lâcha brusquement son emprise sur son poignet et Sinak relâcha au même moment sa hache. Il se sentait stupide, impuissant et infantilisé. Sa besace était vide, il n’avait même pas besoin de vérifier. L’homme l’avait bien eu en faisant semblant de s’intéresser à sa hache.

-Écoute, ce qui est imbécile, c’est de se mettre dans le pétrin parce qu’on a trop d’orgueil pour demander de l’aide. Je sais de quoi je parle. Alors, on retourne à la taverne ou tu m’expliques ce que tu as de besoin?

Sinak leva les yeux pour soutenir le regard de Locke. Si normalement se faire traiter d’imbécile
l’aurait mis dans tous ses états, à présent il se trouvait simplement irrité et fatigué de la présence de l’humaine.

-Locke…commença-t-il peu convaincu. Locke, étais-tu en train de m’espionner? Demanda-t-il finalement.

Il soupira en passant un de ses doigts rudes sur le tranchant de sa hache.

-Veux-tu bien me laisser tranquille? Sortir de la chambre tu appelles ça se mettre dans le pétrin? Je n’ai pas besoin d’une mère (ses lèvres tremblèrent en prononçant le mot) et je n’ai pas besoin d’aide. Je n’ai rien à te demander, tu en as déjà fait assez. Merci Locke, voilà je l’ai dit, merci, qu’est-ce que tu veux de plus? C’est gentil de m’avertir que l’humain mal rasé de tantôt est un escroc, je ne l'avais sûrement pas deviné en observant un peu ce qu’il vendait. Je n’allais pas me faire revendre pièce par pièce au marché noir, personne ne veut d’un crâne de nain. Tu n’as rien à craindre. J’aimerais maintenant, si tu me permets, continuer mon chemin. J’étais à la recherche d’un emploi avant d’être interrompu par un fraudeur trop sûr de lui et par une Locke-poule.
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Locke Casseli

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MessageSujet: Re: La mère-poule de Pacem Minara   La mère-poule de Pacem Minara EmptySam 10 Déc - 2:49

Il y avait eu un "merci", du moins elle avait cru l'entendre. Elle n'aurait pu dire, car son esprit, comme tous ceux des hommes, préférait mettre son attention sur le négatif. Le mauvais, la tragédie, le drame, c'était toujours ces souvenirs qui restaient à jamais imprégnés dans l'esprit humain. La douceur de la brise matinale sur sa joue, la fascination à observer un flocon sur sa main, la joie de serrer un autre être vivant dans ses bras et de sentir sa chaleur, tout cela faisait un va et viens incessant dans l'esprit sans jamais vraiment s'y installer. Dès qu'il repartait, ce sentiment était vite oublié.

Mais la tragédie, le laid, le dégoûtant, creusait un trou dans le crâne et s'y incrustait à jamais. Dans les événements anodins comme ceux importants, c'était toujours le négatif qui triomphait.

Ce que Locke retenait se résumait ainsi à ces quelques mots: "espionner" "qu'est-ce que tu veux de plus?" "Laisse-moi tranquille" "Locke-poule".

Elle voulait lui dire: "J'avais peur pour toi, je croyais qu'on t’avait fait du mal après avoir vu le linge à la taverne." Elle voulait se justifier: "Je comprends comment tu te sens, je n'aime pas qu'on essaie de me protéger comme si j'étais impotente, mais je m’inquiète depuis que Kei est parti." Elle voulait crier: "Je suis ridicule, mais je me suis attachée à toi, ton chien et cet enfant." Toutes ces phrases se bousculait toutefois dans sa tête et se percutaient violemment les unes contre les autres sans jamais réussir à sortir de sa bouche.

Après cet élan émotif initial vint la rage. La rage de n'être jamais capable de créer des liens, la rage de se faire dépeindre comme elle l'était vraiment.

Elle ne voulait plus de cette Locke. Pendant un bref instant, elle avait cru qu'il était possible pour elle d'exister avec cette douceur maladroite innée, mais tout cela était terminé. Il était grand temps de refaire sa carapace, son domaine impénétrable.

-Je ne t'espionnais pas, mais si c'était le cas, tu serais une cible très facile, surtout en mettant ton linge sale à ta fenêtre aux yeux de tous. Bonne chance avec Ada, elle était furieuse.

Elle pencha son regard sur la besace à Sinak. C'était un réflexe qu'elle avait acquis à Pacem Minara. Repérer, estimer, voler. Elle le faisait sans discrimination, autant aux vieux qu'aux jeunes, aux escrocs qu'aux saints. Elle déterminait par la suite son intérêt et ses chances de réussite, puis prenait une décision. Elle n'avait pas l'intention de voler la plupart des gens avec lesquels elle effectuait ce rituel, mais en agissant systématiquement de la sorte, elle était sûre de ne pas rater une victime potentielle. Toutefois, elle put instantanément dire que sa besace était vide. Ses joyaux étranges ne lui appartenaient apparemment plus. Elle esquissa un sourire mesquin.

-J'espère que les putes que t'as payées à ce prix étaient très bonnes à leur travail, parce que dépenser ici est facile, mais regagner non.

Locke soupira et ferma les yeux pendant un moment pour finalement les rouvrir et dire:

-Mais je m'inquiétais pour rien. Que peut-il bien arriver à un nain sans argent ni emploi dans une ville dont il ne connaît pas les règles? Petite sotte, va!

Elle prononçant ces derniers mots, elle se tapa la tête puis se mit à rire.

-Au revoir cher Sinak, pardon de t'avoir dérangé et dit bonjour à Kei de ma part si jamais tu le croises!

Locke se mit sur un chemin qui menait au Bas Quartier pour ensuite se diriger à la sortie de Pacem Minara. Elle était décidée à partir pendant quelques jours comme elle avait l'habitude de faire lorsque ses émotions l'étouffaient. Elle allait dans les bois, se défoulait en hurlant et se laissait dépérir. Elle revenait à Pacem Minara affamée, déshydratée, mais surtout, nettoyée de ses émotions. Se malmener de la sorte était sa cure, son retour à la réalité. Elle était toujours plus froide et distante à ses retours, car ils lui faisaient prendre conscience d'une chose: elle était seule et le serait toujours. Seulement elle avait le pouvoir de se ramener à la réalité, de se forcer à rentrer à Pacem Minara. Seulement elle avait le pouvoir de se sauver. Personne, même Ada, n'allait aller la chercher et la retrouver dans ces bois. C'était ainsi qu'elle se construisait, qu'elle arrivait à refaire sa carapace.

C'était ainsi que Locke Casseli survivait à Pacem Minara.
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Sinak Pathara
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MessageSujet: Re: La mère-poule de Pacem Minara   La mère-poule de Pacem Minara EmptyDim 11 Déc - 3:07

-Je ne t'espionnais pas, mais si c'était le cas, tu serais une cible très facile, surtout en mettant ton linge sale à ta fenêtre aux yeux de tous. Bonne chance avec Ada, elle était furieuse.

Sinak fronça les sourcils. Linge sale? À la vue de tous? Lorsqu’il comprit de quoi il était question, il était trop tard pour fournir des explications, car Locke avait déjà commencé à parler :

-Mais je m'inquiétais pour rien. Que peut-il bien arriver à un nain sans argent ni emploi dans une ville dont il ne connaît pas les règles? Petite sotte, va!

Le nain plissa imperceptiblement les lèvres. Ainsi, elle avait tout compris. Elle savait à quel point il était sans ressources et sans pouvoir dans cette grande ville où la sélection naturelle battait son plein. Il était si facile de s’y égarer et d’y disparaître complètement. Sinak l’avait constaté dès le jour de son arrivé, lorsqu’il avait failli mourir piétiné. Il savait qu’il ne restait jamais de traces de ceux qui perdaient au grand jeu de Pacem Minara, mêmes leurs os étaient revendus. Tout était récupéré et recyclé, comme l’avait mentionné le voleur. Le nain comprenait maintenant que les solitaires ne survivaient pas longtemps, c’était seulement en s’unissant que les individus pouvaient espérer une vie meilleure. L’orgueil n’était rien de moins qu’un fier pas vers la mort. La prospérité et la multiethnicité de la ville n’étaient qu’un mensonge construit sur l’empilement des corps du marché noir ou sur le troupeau d’enfants aux visages sales de l’orphelinat. De toute façon, ils faisaient bien d'apprendre qu'à Pacem Minara, il était inutile de prendre de se laver le visage, les gens se lavaient de l’intérieur, versant pichet de bière après pichet sur leur minable vie. Sinak déglutit péniblement. Lorsqu’il avait été seul au milieu de la forêt, tout avait été beaucoup plus simple. Dès que des humains étaient impliqués, ça tournait au vinaigre. Pourtant, il n’avait rien voulu de tel. Il appréciait Locke, c’était pour cela qu’il avait accroché ce « merci » ridicule à sa fenêtre, juste pour elle. Il n’avait rien à foutre d’être une cible, il avait ses priorités. Il avait seulement négligé le fait que Locke était analphabète.

-Au revoir cher Sinak, pardon de t'avoir dérangé et dit bonjour à Kei de ma part si jamais tu le croises!

Les paroles étaient dures et bien choisies. Sinak réalisa avec horreur que l’humaine le connaissait maintenant assez pour pouvoir le blesser. Il la regarda s’éloigner sans un mot, la gorge serrée de haine. Haine? Non, ce n’était pas ça. La haine, c’était un sentiment liquide qui suintait des pores de la peau et qui couvrait de boue tout ce qu’il y avait autour. Ce que le nain ressentait présentement, c’était l’amertume qui serre la gorge comme le poison. Il déglutit en laissant sa défaite et sa honte se diluer dans ses veines.

Il savait qu’il était inutile de courir après l’humaine ou de la rappeler. Semblable à un chat, Locke avait l’élégance de faire uniquement ce qui lui plaisait, ignorant le reste.

Sinak se tourna de nouveau vers la place publique et avança dans la mêlée, sans se retourner. Au moins, il savait qu’il avait maintenant atteint le fond. Complètement seul et dépourvu, il n’avait vraiment plus rien à perdre.
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