Séance de magasinage (pv: Kei)

Sinak jeta un coup d'œil derrière lui avant de refermer la porte de sa chambre. La fenêtre était fermée, ses effets étaient rangés dans le tiroir et l'humaine était assise sur le lit. Tout semblait correct.
Le nain ferma la porte et descendit l'escalier. Il salua Ada d'un hochement de tête et d'un grognement, puis alla rejoindre ses amis Kei et Rigga à l'extérieur de la taverne.

Aujourd'hui ils devaient se rendre au marché afin de se procurer de nouveaux habits. Kei était vêtu de haillons pitoyables et les vêtements de Sinak étaient tellement vieux et usés qu’il était impossible de les laver sans les déchirer. Le nain avait donc décidé d’utiliser une partie de la monnaie qu’il avait obtenue en échange de ses pierres pour acheter des vêtements dignes de ce nom.

-Nous allons nous acheter des nouveaux habits, Kei, déclara-t-il en se sentant affreusement ridicule.

Sans attendre la réaction de l'enfant, Sinak se tourna et se mit à marcher dans la direction du marché, en espérant ne pas se perdre cette fois. La dernière fois, il avait passé la nuit dehors, car il ne s'était pas résolu à demander le chemin à un de ces passants aux regards hostiles.
Sinak regarda autour de lui, comme s'il espérait voir quelque chose de nouveau dans tous ces bâtiments sales et délabrés. Ses yeux ne rencontrèrent que le regard malveillant d'un itinérant, les morceaux de vitre d'une fenêtre brisée et la carcasse d’un rat que quelques chats à au pelage mal entretenu sentaient avec curiosité.  Le nain se mit à regarder de nouveau droit devant, déçu. Il avait l'impression que dans ce coin du bas quartier, il n'allait jamais apercevoir quelque chose de beau. Pas un objet, pas un geste, pas un regard. Cet endroit-là était condamné et abandonné par la vie. Tout ce qui y était, finissait par pourrir et mourir.

Le nain frissonna et chercha le réconfort dans le ciel bleu s’étendant au-dessus de sa tête. Sauf que le ciel n’était pas bleu. Sinak avait cru qu’il l’était partout. Cependant, il semblait qu’ici, il était contaminé par la saleté de Pacem Minara et avait une teinte grise et morne.

Ils étaient à présent sur la rue principale du bas quartier. Les dalles brisées sous les pieds du nain semblaient se moquer de lui alors qu’il tentait de s’imaginer le champ de fleur où il avait trouvé l’enfant. Le souvenir était agréable, mais très vague. Sinak n’était même plus sûr qu’il était réel. Alors qu’il vivait depuis déjà deux semaines dans la puanteur du bas quartier, le parfum de centaines de fleurs était presque impossible à s’imaginer.

J’étais dans un conte de fée, pourquoi l’ai-je quitté? Se demanda soudainement Sinak avec nostalgie et regret.

La réponse vint d’elle-même. Viadhanga. Le nain regarda les passants avec tristesse. Y aurait-il un d’entre eux qui l’aiderait un jour? Ou sa quête avait été vouée à l'échec dès le départ?

Sinak soupira, mais se fit la chétive promesse que si un jour il parvenait à sauver Viadhanga, il retournerait dans la forêt. Il retournerait voir le champ de fleur qui avait ouvert une faille dans son cœur durci par plusieurs épaisseurs de pierre. Le lieu divin qui l’avait obligé à se plier sous sa grandeur et sa beauté. Le champ de fleur qui avait amené un sourire innocent sur son visage crispé et qui lui avait offert un ami.

Soudainement ému, le nain se tourna vers l’enfant. Il se demanda s’il se sentait aussi mal que lui dans cet environnement dépouillé de toute merveille.

-Kei...commença-t-il hésitant. Est-ce que tu t'ennuies de la forêt?

-Kei... Est-ce que tu t'ennuies de la forêt?

L'enfant fixa pendant quelque temps le nain, analysant ses mots. Il avait tendance à faire ce geste, pour ainsi rassembler toute sa concentration vers son interlocuteur. Kei, à l'habitude très lunatique, était rarement en compagnie de gens et le changement qu'avait apporté Sinak dans sa vie le forçait à en apporter lui-même dans ses manières d'être. Ainsi, l'enfant essayait du mieux que possible de répondre aux gens lorsqu'on lui adressait la parole, bien qu'il oubliait de temps en temps ou parfois perdait simplement intérêt.

-Non... la forêt est toujours avec nous... elle nous suit...

Kei n'avait en effet jamais quitté la forêt. Il fermait les yeux et se retrouvait là, dans le champ de fleurs, parfois en compagnie de sa famille. Il n'avait qu'à laisser vagabonder son esprit et les environs du Bas Quartier se transformaient en véritable paradis. Il pouvait se remémorer dans les moindres détails de la forêt. Son odeur, les sons, les animaux, les plantes. Ce n'était pas exagérer que de dire que l'enfant vivait plus dans sa tête que dans le monde extérieur. Ainsi, Kei n'avait pas ce même sentiment de vide et de tristesse. Il restait indifférent, quelque peu inconscient de sa situation présente. Ça, ou l'enfant faisait réellement un avec la forêt, peu importe où il se trouvait.

-Toi Sinak... tu n'arrives plus à la trouver, la forêt?

Kei réalisa alors qu'ils approchaient une nouvelle partie de la ville. Les immeubles devenaient lentement plus accueillants et les gens plus nombreux. Des habits colorés défilaient un peu partout et plusieurs nouveaux sons et nouvelles odeurs lui parvenaient. Ici, on interpellait sans cesse les piétons pour leur demander de venir voir des produits aux allures insolites. Kei trouvait le tout très étourdissant. Il décida alors de se diriger vers un endroit plus calme, sans succès. La place entière regorgeait d'avides consommateurs et l'enfant ne réussissait pas à s'en éloigner. Après quelque temps, il entendu une voix forte l'appeler. Il se retourna vers Sinak, mais réalisant que ce dernier était aussi étonné que lui, il leva à nouveau la tête pour se retrouver face à un homme blond qui le regardait d'un air à la fois excité et incrédule.

-Impossible... Dis, c'est vraiment toi, Kei?

L'enfant fixa l'étranger le temps de quelques secondes, jusqu'à ce qu'il devienne un visage familier.

-...Eryn?

Sans attendre un moment de plus, l'homme se jeta dans les bras de l'enfant.

-Ça alors! J'y crois pas! J'y crois pas! Je croyais que vous étiez tous morts! Après avoir vu l'état du village... Je suis tellement content! Alors petit Kei, dis-moi où sont Eleora et les autres!

Le jeune homme blond regarda de tous les côtés, cherchant avec enthousiasme sa tante. Après quelques secondes, son sourire s'effaça et laissa place à une expression perplexe. Il regarda l'enfant à nouveau, puis son regard se déposa sur l'être à ses côtés. Le jeune homme se figea et devint soudainement froid.

-Dis Kei... C'est quoi ça à tes côtés?

Eryn agrippa fermement le bras de l'enfant et l'amena de force près de lui.

-Tu ne traînes pas avec des gens de son espèce, j'espère?

-Je... je...

Kei était sans mots et ne comprenait pas ce que son cousin essayait de lui dire. Il était dépassé par son changement soudain d'émotions et devenait nerveux à la vue d'un Eryn si effrayant. Ce dernier, voyant l'allure inquiète de l'enfant, s'empressa de le rassurer:

-Chut Kei, tout va bien, respire, il n'y a pas de problème. Tiens, va rejoindre mes amis là-bas. Tu les vois? C'est les trois gars au fond, à côté du présentoir. Ils vont bien s'occuper de toi, compris? J'irai te rejoindre plus tard. Allez, vas-y, tu n'as pas à avoir peur. On discutera de tout ça après.

L'homme secoua gentiment les cheveux de Kei et lui fit signe de partir, de manière douce au début, puis insistante à la fin, devant la réticence de l'enfant. Finalement Kei, incertain, lança un dernier regard à Sinak et se dirigea vers le groupe d'hommes, accompagné de Rigga.

Eryn regarda à présent le nain qui se tenait devant lui d'un air apathique et dégouté. Il était sale et habillé en haillons. Repoussant, c’était le moins qu’on puisse dire.

-Pourquoi est-ce que quelqu'un comme toi se tient avec Kei? Tu ne penses pas nous avoir fait assez souffrir? Il est où le reste de ma famille? Mort, comme tous les autres du village? Écoute-moi bien, je ne sais pas pour qui tu te prends, mais je te donne trente secondes pour prendre tes affaires et partir d'ici. Je ne veux plus jamais te revoir proche de ce garçon. Alors dis-moi où sont Eleora et ses enfants et je te laisse ta vie.

-Pourquoi est-ce que quelqu'un comme toi se tient avec Kei? Tu ne penses pas nous avoir fait assez souffrir? Il est où le reste de ma famille? Mort, comme tous les autres du village? Écoute-moi bien, je ne sais pas pour qui tu te prends, mais je te donne trente secondes pour prendre tes affaires et partir d'ici. Je ne veux plus jamais te revoir proche de ce garçon. Alors dis-moi où sont Eleora et ses enfants et je te laisse ta vie.

Ces paroles remplies de haine glissèrent aisément par-dessus Sinak comme l’eau sur le dos d’un canard. Elles ne s’attardèrent pas près de lui et continuèrent si  naturellement leur chemin que le nain commença à douter s’ils lui étaient vraiment destinés. Il jeta un regard derrière lui, s’attendant presque à voir un meurtrier au regard de fer, mais ses yeux ne rencontrèrent que des longues jambes blanches montées sur des talons-haut rouge vif. Sinak fronça les sourcils et se tourna de nouveau vers le jeune homme. Non, le regard haineux n’était adressé à nul autre que lui-même.

Sinak pencha sa tête vers la droite et aperçut Kei entouré de trois hommes apparemment aussi confus que le garçon lui-même. Rigga était également avec eux. Sinak grommela quelque chose sous sa barbe en se demandant, comme à chaque jour, pourquoi il lui était impossible de passer au moins une journée tranquille.

Ensuite, il regarda de nouveau le jeune homme agressif et soutint pensivement son regard froid. Il soupira et força les mots qui lui avaient été si bonnement lancés par-dessus la tête de faire demi-tour. Il n’en avait aucune envie, mais il leur fit face cette fois.

Les paroles du jeune homme ne l’affectaient aucunement et l’intimidaient encore moins, mais ils amenaient un nouveau dilemme. L’humain agressif  faisait partie de la famille à Kei et il se doutait de ce qui était arrivée au village. Sinak devait tout faire pour qu’il ne dise rien à l’enfant. Il ne voulait pas que le cœur de son ami soit brisé une deuxième fois.

- Tu me donnes trente secondes pour partir, puis tu me poses des questions, commença-t-il d’un ton découragé à l’idée de tout ce qu’il devrait expliquer encore à cet individu visiblement lent d’esprit. Les humains veulent toujours tout en même temps, mais il faut se décider, dans la vie.

-Nous devrions nous pousser du chemin, ajouta-t-il ensuite.

Il était tanné de récolter des bleus. Sans attendre de voir si l’humain le suivait, il alla se poster près d’un chariot abandonné sur le côté de la rue. Ensuite, il essaya de rassembler ses pensées, mais n’y parvint pas. L’homme semblait perdre de plus en plus patience et sa présence agaçait le nain. Son regard était si insistant que Sinak avait l’impression qu’il allait creuser un trou dans sa tête.

-Si tu penses que tous les nains de ce monde sont responsables de la mort de ta famille, tu as tort, dit finalement Sinak. Des nains ont tué ma propre famille et mes amis, je leur eu veux autant que toi. Pour ce qui est de ton village, oui je pense que tout le monde est mort, je suis désolé.

Le nain parlait de manière précipitée et saccadée. Il avait trop de choses à expliquer, trop de vérités à dévoiler et trop de vérités à cacher, sans avoir le temps de trier le tout.

-J’ai vu les maisons brûlées et décimées, continua-t-il. Il ne semblait pas y avoir de survivants. J’ai croisé Kei dans la forêt et je l’ai raccompagné à son village. Quand j’ai vu ce qui en restait, j’ai décidé de laisser Kei m’accompagner parce qu’il n’avait nulle part où aller. Ensuite, j’ai pris soin de lui. Si tu ne me crois pas, tu n’as rien qu’à lui demander toi-même.

Sinak avait décidé que Kei, malgré sa stupidité, pourrait jouer en sa faveur. Il se rappelait de l’effet qu’il a produit sur Ada alors qu’elle l’avait accusé d’abuser de l’enfant. Son intervention ne serait donc pas de trop, une fois de plus.

-Une dernière chose, prévint le nain. Kei ne semble pas réaliser  que sa famille est morte. Le lui expliquer le bouleverserait énormément. Alors, s’il te plait, retiens-toi si tu as le moindrement de considération pour lui.

-Si tu penses que tous les nains de ce monde sont responsables de la mort de ta famille, tu as tort, dit finalement Sinak. Des nains ont tué ma propre famille et mes amis, je leur eu veux autant que toi. Pour ce qui est de ton village, oui je pense que tout le monde est mort, je suis désolé.

Je suis différent, je suis spécial, je suis gentil moi, ouais dis tout ce que tu veux si tu sais comment je m'en fou... Eryn, à l'annonce définitive de la mort sa tante et de ses cousins, fut replongé dans une douleur profonde. Il n'arrivait à croire qu'on ait décidé de lui redonner espoir seulement pour le décevoir à nouveau. Il savait qu'il n'aurait pas dû souhaiter.

-J’ai vu les maisons brûlées et décimées. Il ne semblait pas y avoir de survivants. J’ai croisé Kei dans la forêt et je l’ai raccompagné à son village. Quand j’ai vu ce qui en restait, j’ai décidé de laisser Kei m’accompagner parce qu’il n’avait nulle part où aller. Ensuite, j’ai pris soin de lui. Si tu ne me crois pas, tu n’as rien qu’à lui demander toi-même.

Kei, Kei, Kei. Il aurait bien pu mourir avec les autres. Seulement le fait de penser que c'est lui le seul survivant... Eryn laissait son amertume prendre le dessus. Il ne le pensait pas réellement, mais il voulait plus. Plus de survivants. Tout ou rien. Il ne pouvait accepter l'aboutissement de ce carnage. Kei, cet éternel enfant, cet imbécile...

-Une dernière chose. Kei ne semble pas réaliser que sa famille est morte. Le lui expliquer le bouleverserait énormément. Alors, s’il te plait, retiens-toi si tu as le moindrement de considération pour lui.

Eryn sortit lentement de sa réflexion.

-Il ne semble pas réaliser? Est-il vraiment aussi vain? Tu es allé au village avec lui non? Ça lui prend quoi, pour réaliser que sa famille est morte? Il est complètement débile cet enfant. J’arrive pas à croire que de tous les petits d'Eleora, c'est Kei qui a survécu. Je suis même pas sûr qu'il est conscient qu'il vit... Merde. Quelle chance, j'te dis.

Eryn soupira, puis se mit les mains sur le visage. Il pensa le temps de quelques secondes et finit par dire:

-Bon, on peut seulement faire avec. Merci de l'avoir amené ici. T'es fort d'avoir supporté ce fardeau de Kahelli à Pacem Minara, moi j'sais pas comment j'aurais fait...

-Allez c'est pas tout, mais moi je dois retourner au travail. Considère ta mission complétée, t'as réussi à sauver un humain qui sans toi aurait crevé une bonne douzaine de fois. Sérieusement, Kei, c'est pas du gâteau. Je vais sûrement l'envoyer chez ma mère en campagne ou quelque chose du genre. En attendant, j'imagine que je vais me débrouiller. Un enfant comme lui, mis à part le nourrir, il y a pas grand-chose à faire avec...

-Bon, alors au revoir. Ça m'a fait plaisir, gentil nain.

Eryn, plus que fatigué d'entendre parler de Kei, décida de partir rejoindre ses compagnons et de résumer son travail au sein de la milice de Pacem Minara. Juste avant, il irait porter Kei dans son appartement et le faire attendre sagement jusqu'à son retour. Ou tout simplement le faire garder par une de ses amies. Peu importe, il déciderait en route.

-Bon, alors au revoir. Ça m'a fait plaisir, gentil nain.

Droit et figé comme un bloc de pierre, Sinak regarda le jeune homme s’éloigner sans vraiment le voir. Il sentait un vide de plus en plus profond se creuser autour de lui. Au-delà de tous ces corps ambulants qui se poussaient dans le marché, il croyait voir un enfant au regard perdu. À côté de lui se tenait probablement Rigga, agitant nonchalamment la queue. Ils étaient si loin de lui, ses deux seuls amis. Entre eux se tenait un jeune homme aux cheveux blonds et au regard éteint de découragement.

Pourquoi fallait-il qu’il arrive. Il a tout gâché. Sinak ne parvenait à penser à rien d’autre, alors que le vide devenait omniprésent et s’infiltrait jusqu’à dans son être. Une goutte de sueur apparût sur son front, alors qu’il tentait de réfléchir à toute vitesse. Cependant, aucune idée ne semblait vouloir chasser le vide inquiétant qui avait pris toute la place. Vite, vite…Fais quelque chose, dis quelque chose saleté de nain! Cependant, il n’y avait rien à faire. C’était comme essayer de casser un morceau d’acier avec du calcaire. Sa tête, comme tous les autres membres de son corps, refusait de coopérer.

Enragé par son impuissance, il finit par mettre feu au vide autour. Le visage rouge et les pieds tremblants, il avança finalement dans la mêlée. Sans voir ni sentir les gens qui se bousculaient autour de lui, Sinak se fraya un chemin jusqu’au garçon blond avec une aisance surprenante.

-Attends, dit-il d’une voix étrangement rude.

Il avala sa salive pour chasser la douleur dans sa gorge sèche.

-Ça m’a pas dérangé de prendre soin de Kei. Nous nous entendons bien tous les deux et je n’aurais rien contre le fait de continuer à veiller sur lui, si c’est trop de soucis pour toi.

Sinak réalisait qu’il devait passer pour un imbécile, mais il n’en avait rien à faire. Présentement, son honneur était le dernier de ses soucis. Il voulait seulement rester avec cet étrange garçon qui était parvenu à réveiller la tendresse dans son cœur et à lui donner une raison de plus pour exister. La liste de ceux qu’il avait perdus était longue et il n’allait pas laisser la vie lui enlever un ami une fois de plus. Une fois de trop.

Soupirant, il ajouta :

-Enfin, nous devrions demander à Kei où il veut aller, sans décider pour lui. Il est assez grand pour choisir.

Il espérait seulement ne pas avoir tort.

Eryn était, pour l'une des rares fois de sa vie, réellement surpris. Non seulement un nain semblait avoir pris intérêt en son jeune cousin, mais il voulait continuer à s'en occuper. Pourquoi? Eryn y pensait et y repensait, mais n'arrivait pas à trouver une réponse à sa question. Un doute vint s'installer dans son esprit pendant un moment, un doute que quelque chose ne tournait pas rond, mais ce doute disparu rapidement, après avoir croisé le regard du nain à nouveau. Eryn réussissait, malgré son empathie moindre, à discerner de la souffrance et de l'inquiétude dans ses yeux. Il ne pouvait y avoir quelque chose de plus, il en était convaincu. Alors pourquoi? Pourquoi s'intéresser à Kei? Eryn n'avait rien contre lui, et il s'amusait bien en sa compagnie de temps en temps, mais de là à avoir envie de le garder... Kei n'était même pas de la famille du nain.

Ce qui était d'autant plus étrange, c'était que ce nain proposait que l'on donne à Kei l'option de choisir. Cet enfant était beaucoup trop sot pour réfléchir à quoi que ce soit. Lui demander de faire un choix aussi important était complètement ridicule.

-Je sais pas si tu as remarqué... mais Kei n'est pas l'enfant le plus brillant des environs. Il est plutôt idiot, à vrai dire. Si tu le connaissais bien, tu saurais qu'on ne peut pas lui demander des trucs du genre. Lui laisser un choix aussi important? Jamais de la vie.

Eryn fit une pause, puis continua:

-Pourquoi je devrais laisser mon cousin à un type comme toi de toute façon? Tu n'es pas de la famille, tu es juste un gars qui l'a trouvé là par hasard et qui a décidé de s'en occuper. Écoute je t'en remercie, mais j'te demande rien de plus non plus. Tu ne dois rien à Kei et ça serait idiot de continuer à te faire jouer à la gardienne. Tu n'as pas à t'inquiéter, je m'occupe du reste. On le connaît bien, notre Kei. Bon, alors à la prochaine.

Eryn quitta le nain à nouveau, cette fois-ci d'un pas plus rapide et déterminé, ne voulant pas se faire accrocher encore. Il était un peu curieux de l'intérêt du nain, mais pas assez pour rester écouter son histoire. De plus, l'insistance du nain le rendait mal à l'aise. Il ne voulait pas avoir à argumenter avec lui, surtout à propos de Kei. Eryn désirait partir de là le plus rapidement qui soit.

Sinak regarda l’humain blond s’éloigner de nouveau. Son corps et sa tête blonde se déformèrent dans sa vision et se joignirent à la masse monochrome des passants. Le nain n’avait pas la force de le retenir une seconde fois. Il n’en avait pas l’envie non plus, le jeune homme le dégoûtait au point de lui donner la nausée. Cet individu était comme une balafre sur un visage, il était venu gâcher quelque chose d’une façon imprévue et inconsciente et il ne semblait y avoir aucun moyen de le déloger. Il était sorti comme cela, de nulle part, un beau matin et avait provoqué une nouvelle catastrophe dans l’esprit instable de Sinak. Le hasard hein, se dit moqueusement le nain en s’esclaffant d’amertume.

Lentement, il se mit à marcher vers l’endroit où devaient être Kei et Rigga. Dans sa tête bourdonnaient des centaines d’abeilles et son visage lui brûlait comme si quelqu’un lui avait estampé un immense fer dessus. Il se sentait extrêmement ridicule et honteux en se frayant un passage à travers toute cette foule de gens qu’il haïssait du plus profond de son être. Il se maudissait de s’être de nouveau attaché d’une façon aussi stupide à un humain qui ne pourra jamais lui retourner son dévouement ni même réaliser combien toute cette amitié absurde lui coûtait. Décidemment c’était sa malédiction: les chiens et les enfants imbéciles. Il n’y avait pas plus pathétique. Pourtant, même en réalisant tout cela, Sinak ne songea pas un instant à abandonner Kei. Il ne le pouvait pas, pas après toutes les péripéties dans la forêt, pas après tous les efforts qu’il avait employés pour le protéger, le soigner et lui donner une nouvelle confiance en lui. De plus, il savait qu’il perdrait une partie de lui-même en laissant partir son ami aussi lâchement. Kei était sa patience, sa générosité, sa tendresse, sa responsabilité, son accomplissement et son espoir. Le nain avait trop à perdre pour ne rien tenter.

Sans s’en rendre compte, il accéléra le pas. Bientôt il arriva à la hauteur de l’humain blond. Il ouvrit la bouche, seulement pour se rendre compte à quel point il avait mal aux dents à force d’avoir serré sa mâchoire. Luttant contre sa douleur et son dégoût, il marmonna sans même lever la tête :

-Je m’en vais lui dire au revoir et chercher mon chien.

Il continua sans se retourner. Bientôt il aperçut les trois jeunes hommes qui se tenaient près de son ami. Deux d’entre eux discutaient en buvant une bière, sans prêter attention à l’enfant alors que le troisième l’observait d’un air à la fois incrédule et amusé. Sinak les haïssait tous les trois. Il avait envie de prendre sa hache, de faire revoler des morceaux de chair et de tacher de sang tout ce qui l’entourait. Cependant, il se promit de se retenir, devant Kei.

Lorsqu’il s’approcha, le troisième l’aperçut immédiatement et fit signe aux deux autres. Ensemble, ils le toisèrent avec presque autant de haine et de dégoût que Sinak en avait pour eux. Les ignorant complètement, le nain s’approcha de son ami.

-Kei, je suis venu te dire au revoir. J’ai proposé au jeune homme blond que tu restes habiter avec moi, mais il préfère t’amener avec lui.

Celui-ci se pointa à cet instant même et Sinak dut faire un effort immense pour ne pas laisser transparaître son aversion.

-Alors j’ai été très content de te connaître. Peut-être qu’un jour nous nous reverrons encore… Bonne chance! Viens Rigga…

Avec une grimace en guise de sourire encourageant, le nain fit un pas en arrière, mine de vouloir quitter les lieux.