La prostituée et le nain

Sinak regardait l’humaine assise dans son lit avec un profond dégoût. Son sourire faux, sa main tendue, son air enjoué, toute sa comédie lui donnait envie de vomir.

Elle m’invite à rentrer dans ma propre chambre? Non, mais elle se prend pour qui cette saleté d’humaine? Elle a soigné Kei, je lui ai donné une roche, maintenant bon débarras!

Il laissa rentrer Kei et Rigga, puis passa lui-même le cadre de porte d’un pas lourd. Il était suivi du regard meurtrier d’Ada qui lui grattait le crâne jusqu’au sang. Avant de se tourner vers elle, il regarda l’humaine assise dans le lit. Dans ses yeux, beaucoup plus que sa confusion, se lisait sa frustration et sa haine.

Qu’as-tu encore fait, connasse? Qu’as-tu raconté à Ada pour qu'elle semble m'en vouloir autant? Pourquoi l’as-tu mêlée à tout cela? Il me manquait plus que ça maintenant!

S’il y avait un dé de la chance dans la vie, il semblerait qu’il tombait sans cesse du mauvais côté devant les pieds de Sinak. Ou peut-être qu’il n’existait qu’un dé de malchance, les six chiffres indiquant chacun un niveau malheur différent. Peu importe le cas, le nain était malchanceux de trouver les deux seules personnes qu’il avait rencontrées depuis son arrivée dans la ville – deux personnes qu’il détestait – dans sa chambre en train de discuter de diable sait quoi alors qu’il avait envie de dormir. En ajout à tout cela, l'une d'entre elles, s'il se fiait à son regard, avait envie de l'assassiner.

Il pensa un instant à les ignorer. À marcher vers le lit, se coucher et fermer les yeux. Dormir et faire fi de cette nouvelle provocation. Cependant, il savait qu’il n’en serait pas capable. Il n’était pas supérieur ni plus intelligent que la vie. Il était au même niveau qu’elle. Au même niveau que les imbéciles qui faisaient cent fois la même erreur et mettaient la faute sur n’importe qui et n’importe quoi. Ces imbéciles qui étaient les jouets favoris de la vie à l’esprit ludique.

Réalisant qu’il n’y avait aucune sortie de secours à sa propre stupidité, Sinak se résigna à leur parler. Cependant, il décida de faire un entre-deux. Ne pas trop se laisser emporter par la joie d’insulter, sans toutefois leur refuser une réaction quelconque.

-Je ne sais pas ce qui se passe ici, mais si ce n’est pas trop demander, j’aimerais que vous alliez discuter ailleurs, dit-il à travers ses dents serrées en regardant intensivement Ada, puis la guérisseuse. Ici c’est ma chambre, pas un salon de discussion pour humaines surexcitées.

Il allait ajouter autre chose, mais la figure imposante d’Ada était déjà penchée au-dessus de lui et une rage sans pareille émanait d’elle. Ses yeux s’étaient assombris sous l’effet de la colère et ses puissantes mains semblaient prêtes à le réduire en ridicule amas de chair et d’os sanguinolent. Sinak posa sa main sur Kehlar. Comme une pomme pourrie et séchée, le visage du nain s’était contorsionné en grimace de dégoût. Ada puait la colère.

-Votre chambre?! Vous ne m’avez même pas payée! Si ce n’était pas pour ma générosité vous serez mort à l’heure qu’il est! Mort de faim et de fatigue! D’ailleurs j’aurais préféré que vous le soyez, étant donné que dès que vous n’êtes plus mourrant, vous ne cherchez ni à boire, ni à manger, ni même à dormir, vous ne cherchez que des jeunes filles pour assouvir vos stupides besoins! J’aurais dû m’en douter, les hommes sont tous pareils. Ce qui me dépasse surtout, c’est que de toutes les femmes possibles vous avez choisi une jeune fille comme Locke. Vous, un affreux nain sale qui ne s’est pas lavé depuis je n’ose pas me demander combien de semaines, vous vous permettez d’engager une jolie femme? Vous n’avez aucun respect ni pour les jeunes femmes, ni pour l’aide que je vous ai fournie, ni pour vous-même. Vous n’avez plus le droit de rester ici, je vous mets dehors, je ne veux pas de nains sales comme vous dans ma taverne.

Sinak la fixait les yeux grands ouverts d’incrédulité. Il n’était même pas fâché encore, ni même indigné. Seulement surpris. Son regard voyagea plusieurs fois de l’humaine sur son lit à Ada. La situation était absurde. Il ne pouvait pas réellement perdre cette chambre à cause d’un tel malentendu? À cause d’une connasse qui avait raconté des obscénités à son sujet simplement parce qu’elle le détestait?

Le nain prit une grande respiration et ferma les yeux. Il voulait en rire, mais ce n’était pas drôle. De plus, il ne riait jamais, il ne savait même pas s’il était encore capable de le faire. C’était simplement stupide comme situation. Il ne pouvait pas croire qu’il était réellement dans le pétrin à cause de cela. À cause d’un vulgaire mensonge.

-Je ne sais pas ce qu’elle vous a raconté, mais je vous assure que je n’ai jamais même pensé à engager quelqu’un comme elle pour ce genre de choses…

-C’est ça! Après avoir fait vos sales choses vous la dédaignez maintenant! Je n’en reviens pas, vous allez sortir d’ici tout de suite ou bien c’est moi qui vous sort! Toi, dit Ada en désignant Kei, tu peux rester. Je vais m’occuper de toi et plus personne ne pourra abuser de toi comme l’a fait ce sale nain. Vous êtes encore là?! Cria-t-elle ensuite à Sinak. Si vous ne voulez pas débouler les escaliers une seconde fois, vous avez intérêt à partir sur le champ!

À présent, Sinak était fâché. La colère, c’était contagieux. Il regarda l’humaine qui n’avait toujours pas enlevé son sale derrière de ses draps.

-Dis-lui que ce n’est pas vrai tout ça! Dis-lui la vérité ou sinon c’est moi qui lui dit, lui ordonna-t-il d’une voix légèrement étouffée par la fureur.

-Moi, je ne veux pas que Sinak parte.

Kei fixait le sol en jouant avec le bas de son chandail, trop intimidé par tous les cris pour lever sa tête. Finalement, il regarda timidement la femme sur le lit et aperçut à ses côtés la pierre que Sinak lui avait donnée.

-Ah. Je l'avais oublié.

Kei s'avança et prit l'émeraude dans ses mains avant de s'asseoir sur le lit. Il observa longuement la jeune femme à ses côtés et finit par appuyer sa tête sur l'épaule de celle-ci.
-Merci de m'avoir soigné.

Kei se rappelait vaguement des évènements. Il se rappelait de cette femme, de certains mots qu'elle avait prononcés. Il ne se souvenait pas de tout, mais il comprenait qu'elle l'avait sauvé. Kei souhaitait que cette querelle prenne fin. Il savait que la femme assise sur le lit n'était pas méchante. Il savait que la femme s'occupant de la taverne les avait accueillis. Il savait que Sinak l'avait amené avec lui jusqu'à Pacem Minara. Il ne comprenait pas pourquoi tous semblaient fâchés, alors qu'ils étaient tous pareils.

-Je n'aime pas que vous criiez comme ça, ça fait mal aux oreilles, puis Rigga a peur des sons forts...
Le visage de la propriétaire de la taverne se calma, puis son expression devint confuse.

-D'accord mon petit, on ne criera plus, répondit-elle.

-Locke...tu veux bien t'expliquer, s'il te plaît?

Ada regardait Locke d'un air calme, mais sévère. Elle se sentait dupée et attendait une explication.

En temps normal, Locke aurait brutalement repoussé le garçon qui s'était installé tout bonnement, sans autorisation sur son épaule. Toutefois, elle avait vu l'attachement profond du nain pour son protégé et ne comptait pas le confronter à nouveau. Elle l'endurait. Locke était agacée par le comportement de l'enfant. Pour qui se prenait-il? Agir aussi familièrement avec elle, l'approcher comme ça. Dégoutant. Locke n'avait jamais vraiment aimé les enfants. En fait, elle s'était forcée à ne pas les aimer, car pour elle, ils avaient toujours représenté une perte de liberté. Elle ne voulait pas être comme tant d'autres femmes, forcées à élever leurs enfants et à faire un sacrifice de soi pour leur bénéfice. Elle les voyait comme un fardeau. La femme grimaça à la vue du garçon qui se trouvait à ses côtés, puis répondit à Ada:

-Ok, écoute-moi Ada, la vérité est un peu différente de ce que tu t'étais imaginé. Mais quand t'es comme ça j'aime mieux pas te contredire, tu t'enflammes tellement, on dirait que tu es prête à tout détruire sur ton passage.

-Ce nain-là, Sinak, je le connais. On s'était rencontré autrefois à Eastloch. Plus tôt, quand tu demandais aux gars de la taverne pour un médecin, j'ai décidé de monter à l'étage pour aller voir la personne malade en question. J'ai des bases en médecine et.... Et je me suis dit, à l'air désespéré que tu avais, qu'essayer de le soigner était mieux que de ne rien faire. Imagine comment j'étais surprise! C'était lui qui était là, avec ce garçon! Et la suite, tu la connais... J'ai soigné le garçon et je...j'ai...

Locke soupira.

-On se connaissait déjà, Ada... Je ne me suis pas prostituée... Pour l'amour de Dieu, tu me connais, je ne suis pas comme ça! Comment t'as pu croire que j'avais été payée pour ça! J'ai été payée parce que j'ai soigné le garçon, voilà tout! Là, tu l'as foutu sur les nerfs, et c'est vrai que Sinak a un sale caractère, mais c'est quelqu'un de bien! S'il te plaît Ada crois-moi et laisse-les en paix, au moins pour aujourd'hui... On s'expliquera tout ça demain, on est tous fatigués là...

Ada croisa les bras et regarda gravement Locke.

-D'accord, tu sais quoi Locke, je m'en fous. Restez ici et tant que vous payez, je ne dirai plus rien. Mais tu sais ce qui me rend triste, tu sais ce qui me dépasse? C'est que tu me mentes comme ça. Je le sais, tu me mens. Tu me caches des choses, tu me donnes des demi-vérités inventées sur le moment, des mensonges grotesques et tu me crois assez sotte pour tout avaler. Dis-moi, Locke, ça fait longtemps que tu me regardes de haut comme ça?

-Ada, s'il te pla-

-Peu importe, bonne nuit à vous tous, et n'hésite pas à venir me voir mon garçon s'il y a quoi que ce soit.

Ada quitta la pièce sans demander son reste et referma la porte derrière elle.
Locke se détendit et regarda à présent le nain avec une expression exaspérée au visage.

-Voilà, tu viens de gâcher ma belle relation avec Ada. J'espère que t'es content. Aller toi, lève-toi, faut que je bouge là, dit-elle en agitant sa main pour chasser Kei qui se distança aussitôt.

-En passant, tête blanche, ça t'aurait pas passé par l'esprit de laisser ton émeraude quelque part d'autre que sur mon ventre? Tu l'as confuse pour de bon. Ma pauvre Ada, dire que maintenant, elle est convaincue que j'ai couché avec ce nain-là, de manière volontaire en plus, l'horreur.

-On dirait bien que vous êtes pris avec moi pour un bon bout de temps. Et avant que tu t'interposes, Sinak, j'aimerais te faire remarquer que c'est grâce à moi que vous avez encore la chance de dormir dans cette taverne. Dès qu'Ada réalisera que nous n'avons aucun réel lien, elle n'hésitera pas à te jeter dehors. C'est tout à ton avantage d'avoir une telle relation avec moi. Alors, compte toi chanceux.

Locke s'étendit sur le lit et remonta les couvertes par-dessus elle. Cette chambre était mille fois meilleure que son trou du Bas Quartier. Si elle n'avait pas autant d'orgueil, elle serait revenue depuis longtemps chez Ada, mais elle ne pouvait se permettre de dépendre autant d'elle. Ada lui avait déjà assez rendu service comme ça. Dire que maintenant, elle était fâchée après elle. Cela importunait beaucoup Locke. De toutes les personnes, il fallait que ça soit celle-ci, la seule personne qu'elle appréciait réellement. Peu importe, elle ne devait pas s'attarder sur ce sujet. Elle avait maintenant une chambre à sa disposition et elle allait tout faire pour tourner cette situation à son avantage.

-Tu viens me rejoindre? rajouta Locke en lançant un sourire moqueur au nain.

Sinak regardait Kei et avait envie de pleurer de joie et de prendre l’enfant dans ses bras. Bien sûr, c’était une figure de style. Le nain ne pouvait pas pleurer de joie et n’allait certainement pas prendre Kei dans ses bras. C’était plutôt une expression signifiant qu’il était soulagé et ému. Ainsi, ce garçon n’était pas simplement un fardeau, une bouche à nourrir, un être innocent, fragile, stupide et inutile qu’il fallait protéger. Aujourd’hui, il venait de le sauver de l’expulsion et leur avait permis de garder la chambre. Ils étaient trois adultes idiots, incapables de s’écouter et de s’entendre. Il fallait un enfant pour régler la situation. Un enfant qui ne comprenait rien à leur conflit, mais qui avait réussi, inconsciemment, à calmer les tempêtes de chacun.

Moi, je ne veux pas que Sinak parte.

Il était même loyal. Le nain était un peu surpris. Personne ne lui avait été loyal depuis longtemps, mise à part Rigga. Depuis qu’il avait rencontré Kei, jamais il ne s’était attendu à recevoir quelque chose en retour. Il avait toujours essayé de prendre soin du garçon et avait développé une grande affection pour lui, mais jamais il n’avait compté sur lui. Jamais il ne lui avait fait confiance. Cette soirée était définitivement étrange. L’amitié et l’intelligence de Kei avaient été confrontées à des épreuves considérables et avaient toutes les deux passé le test.

Je n'aime pas que vous criiez comme ça, ça fait mal aux oreilles, puis Rigga a peur des sons forts...

Le nain était content qu’il ait pensé à Rigga. Il doit être le seul, à part moi, à me soucier d’elle. Encore une fois, c’était une preuve d’amitié. Sinak se tourna vers sa chienne et la regarda d’un air désolé. Il se sentait coupable de s’être laissé entraîner dans cette bruyante dispute, sans penser à son amie. Elle en avait vécu d’autres, certes, mais il n’y avait aucune raison de la stresser maintenant, surtout alors qu’elle était enceinte.

Le nain croisa le regard de Rigga et baigna un moment dans le gouffre noir et chaleureux de ses yeux. Ensuite, il rapporta son attention aux deux humaines. Il écouta, découragé, les mensonges pathétiques de la première, puis, satisfait, les répliques de la seconde.

-Peu importe, bonne nuit à vous tous, et n'hésite pas à venir me voir mon garçon s'il y a quoi que ce soit.

Il crût, à tort, qu’il en avait fini avec ses problèmes. Dès qu’il entendit les premières paroles de l’humaine sur son lit, il sût qu’il lui en restait encore la moitié à régler.

Voilà, tu viens de gâcher ma belle relation avec Ada. Ce n’était pas cette fausse accusation, qui l’enragea tant. Ma pauvre Ada, dire que maintenant, elle est convaincue que j'ai couché avec ce nain-là, de manière volontaire en plus, l'horreur. Pas plus que cette insulte. On dirait bien que vous êtes pris avec moi pour un bon bout de temps. Et avant que tu t'interposes, Sinak, j'aimerais te faire remarquer que c'est grâce à moi que vous avez encore la chance de dormir dans cette taverne. Ni même cette affirmation erronée mentionnée de façon prétentieuse et détestable.

Ce qui enragea Sinak ce fut son irrespect total envers Kei. Il pouvait tolérer et ignorer n’importe quoi, mais pas cela.

-Tu viens me rejoindre?

Il l’ignora.

-Si ce n’est pas trop te demander, chère prostituée, j’aimerais que tu démontres davantage de respect envers mon ami. Son nom est Kei, pas tête blanche. Tu n’es plus à la garderie, les surnoms imbéciles c’est fini. De plus, c’est lui qui nous a sortis du pétrin, pas toi avec tes incessants mensonges ridicules.

Sinak se tourna ensuite vers Kei.

-Merci, lui dit-il.

Il ne sentait pas le besoin de spécifier pour quoi.

-Si tu as faim, tu peux aller demander de la nourriture à Ada. Si non, j’imagine que tu peux aller te coucher où tu veux. Si tu veux le lit au complet, je peux jeter l’humaine par terre.

Il se dirigea ensuite vers Rigga et s’accroupit près d’elle. Il lui flatta doucement la tête en se disant qu’elle devait sûrement avoir faim de nouveau. Demain matin, il allait trouver quelqu’un qui voudrait bien acheter ses pierres. Ensuite, avec l’argent qu’il aurait obtenu, il payerait Ada pour commencer, puis achèterait assez de nourriture pour que ses amis et lui puissent fostoyer. Finalement, il irait prendre un verre ou deux.

-Bientôt, Rigga, chuchota-t-il. Bientôt je pourrais t’acheter de la nourriture de qualité et tu pourras te régaler autant que tu le souhaites.

-Si tu as faim, tu peux aller demander de la nourriture à Ada. Sinon, j’imagine que tu peux aller te coucher où tu veux. Si tu veux le lit au complet, je peux jeter l’humaine par terre.

Tu peux vraiment la jeter par terre, nain? Viens donc, essaie pour voir. Approche tes sales mains de moi et regarde ce qu'il arrive.

Ridicule. Locke était fatiguée et tout lui semblait si con. Cet enfant au nom aussi simple que son esprit, ce nain étendu au sol à côté de son chien sale, quelle situation de merde. Il n'y avait pas plus ridicule que cela et pour cette raison, Locke insultait en continu dans sa tête chaque être présent dans cette pièce pour essayer de garder son calme. Particulièrement ce nain, Sinak. Quel con, quel imbécile, quelle personne naïve et idiote, qu-

Elle ne pouvait pas. Elle ne pouvait pas garder son calme. Pas face à lui. Il l'énervait, tous ses gestes l'irritaient. La sauver, la payer, s'occuper d'un chien et d'un enfant avec autant de dévouement. Pourquoi? Pourquoi agissait-il ainsi, alors qu'il n'était même pas débile comme l'autre? Pourquoi essayait-il de paraître fort, alors qu'il n'était même pas capable de tuer une personne qui lui avait causé du tort? Quel con, Locke pensait. Quel con, quel con, quel con. Elle était enragée. Elle ne l'aimait pas. Elle ne l'aimait pas du tout. Elle, à l'habitude si indifférente aux autres, se retrouvait avec un dégout hors du commun face à cette personne. Elle voulait le confronter, le forcer à voir la réalité en face. Tu vois, là? Ton ami est mort parce que tu m'as laissée en vie. Tu vois, là? Tu es en train de te faire crever de faim à cause d'un enfant idiot et d'un chien qui se foutent de toi.  Pourquoi essaies-tu de jouer les héros? Ça n'existe pas les héros, pas dans un monde pourri comme le nôtre, alors pourquoi gardes-tu ces fardeaux sur tes épaules, alors que tu peux facilement t'en débarrasser? Locke n'arrivait pas à saisir comment quelqu'un pouvait garder sa naïveté aussi longtemps. Elle n'arrivait pas à comprendre comment ce nain pouvait être aussi dédié à deux causes perdues. Elle voulait le faire souffrir, juste assez pour qu'il cesse d'être aussi indulgent. Juste assez pour qu'il agisse comme tout le reste des autres: Indifférents, égoïstes et cruels. Elle ne pouvait supporter l'idée de quelqu'un comme lui. Les gens de sa sorte ne survivent jamais longtemps, de toute façon. Ils se font tous écraser, un jour où l'autre, ils se font tous détruire par le poids de leurs fardeaux. Ils meurent plus rapidement. Alors, c'est pour cela qu'elle voul-

Assez. Si j'y pense plus longtemps, je risque de devenir folle. Je vais peut-être même commencer à garder des arriérés mentaux sous mon aile, moi aussi.

Locke inspira lentement et se calma. Elle décida d'enlever quelques couches de vêtements pour être plus à l'aise et les jeta négligemment par terre. Ceux-ci atterrirent proches du chien et du nain. Elle s'adressa ensuite à Kei:

-Salut Kei, moi mon nom c'est Locke. Heureuse de te rencontrer. Si jamais tu es fatigué, tu peux venir te coucher avec moi, je te ferai un peu de place. Là par contre, tu dois m'excuser, mais je suis morte alors je vais te dire au revoir pour aujourd'hui.

-Ah et aussi, Locke ajouta en se tournant vers le nain, mon nom est beaucoup plus de classe que "prostituée" alors tâche de l'utiliser à l'avenir. Les surnoms imbéciles, on garde ça pour la garderie, d'accord?

Avant de se reposer pour de bon, elle parla une dernière fois au nain.

-Oh et je sais pas, mais si j'étais toi, j'irais au moins dormir sur le divan. Tu vas seulement tomber malade comme ça et un grand malade, c'est déjà assez. Puis si tu veux tant dormir avec ton chien, t'as qu'à l'apporter avec toi sur le divan. De toute façon, les petits formats comme toi, ça se glisse n'importe où. Je suis sûre que t'auras pas de difficulté. Il te restera même de l'espace sur le canapé, si jamais t'as d'autres merdes du genre. Des chats peut-être? Des poulets? Un petit cochon?

L'enfant vint finalement la rejoindre et elle fut soulagée de voir qu'il n'avait pas l'intention d'occuper beaucoup de place ou de se coller contre elle. Elle sourit intérieurement. Victoire.

-Bon, il faut bien dormir un jour où l'autre. Bonne nuit petit Kei. Bonne nuit le chien.

Tel un enfant, Locke omit volontairement Sinak. Elle savait que c'était absolument ridicule, mais elle y prenait plaisir. Elle ferma les yeux et s'endormit un peu plus tard.

Sinak écoutait les paroles de l’humaine d’une oreille distraite. Maintenant qu’elle avait gentiment salué Kei, le reste de son charabia l’importait peu.

-Oh et je sais pas, mais si j'étais toi, j'irais au moins dormir sur le divan. Tu vas seulement tomber malade comme ça et un grand malade, c'est déjà assez. Puis si tu veux tant dormir avec ton chien, t'as qu'à l'apporter avec toi sur le divan. De toute façon, les petits formats comme toi, ça se glisse n'importe où. Je suis sûre que t'auras pas de difficulté. Il te restera même de l'espace sur le canapé, si jamais t'as d'autres merdes du genre. Des chats peut-être? Des poulets? Un petit cochon?

Blablabla… Ouais. Il allait assurément tomber malade. Surtout après avoir passé sa vie à dormir sur un sol glacé et rocheux, quelque part dans les entrailles de la terre. Surtout après avoir passé les derniers moins à dormir sur le sol humide de la forêt et dans la fraîcheur des grottes. Un plancher tiède allait le tuer, c’était certain. Sinak ne put s’empêcher de secouer la tête. Cette dénommée Locke était trop ridicule. Elle disait n’importe quoi, certaine qu’elle avait raison, certaine qu’elle savait tout. Elle l’insultait n’importe comment, certaine que cela pouvait l’affecter. « Petit format. » Insulter un nain parce qu'il était petit était aussi absurde qu’insulter un canard parce qu’il avait un bec. Décidément, l’humaine était stupide. Elle faisait semblant d’être plus intelligente que lui. Elle faisait tout pour le rabaisser afin de se sentir plus importante. Afin d’avoir l’impression d’avoir gagné à un jeu qui n'existait pas en réalité. Elle faisait pitié.

Les gens n’en insultent d’autres que lorsqu’ils sont fâchés ou lorsqu’ils se sentent intimidés ou agressés. Comme les animaux qui grognent et hérissent leurs poils, les humains crachent des insultes. Ils vont ça parce qu’ils ont peur. Parce qu’ils se sentent menacés. Parce qu’ils cachent leur peur et leur vulnérabilité.

-Bon, il faut bien dormir un jour ou l'autre. Bonne nuit petit Kei. Bonne nuit le chien.

Tu avais dis quoi à propos de la garderie?

Sinak avait presque envie de rire. Le niveau de maturité de l’humaine était comparable au niveau de crédibilité de ses mensonges. De plus, elle aimait être immature. Le nain soupira. Un jour, elle n’aurait plus le choix de cesser ses enfantillages. Un jour elle comprendrait que son amusement était aussi amer que les bières qu’elle venait boire chez Ada. Un jour elle n’aurait plus envie d’insulter personne. Un jour elle verrait la vie telle qu’elle l’était réellement. Un jour peut-être, Locke serait à la hauteur du nain, rabaissée par son destin et écrasée au sol par la vie. Elle n’aurait plus la tête dans les nuages, dans les mensonges. Elle serait plus proche de la terre et de la vérité. Leurs regards seraient alors similaires et il pourrait entendre et reconnaître sa voix. La voix de ceux qui avaient souffert était toujours reconnaissable. Lorsque celle de Locke serait étouffée par la douleur, il pourrait peut-être l’écouter. Pour l’instant, elle était trop claire et vibrante. L’humaine était trop jeune, trop neuve. Quand elle serait assez abîmée, elle comprendrait. Peut-être que ce jour là, il pourrait la prendre au sérieux. Peut-être que ce jour là il se sentirait insulté si elle se moquait de sa taille. Toutefois, pour le moment, elle n’était rien de plus qu’une gamine stupide et inutile. Inoffensive en plus de tout cela. Elle parlait beaucoup, mais ne faisait rien. Comme l’humain standard. Ainsi, Sinak n’avait pas à craindre pour la sécurité de Kei.

Sur cette pensée rassurante, le nain s’installa plus confortablement et se rapprocha de Rigga. Ils avaient toujours eu l’habitude de dormir collés, dans le temps quand Sinak n’avait pas encore rencontré Kei. Apaisé, le nain écoutait la respiration régulière de sa chienne. Il sentait sa chaleur contre lui. Lentement, il ferma les yeux. Le noir l’enveloppa dans un cocon de douceur et il abandonna sa conscience au sommeil.